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Parc du Belvédère : Le charançon rouge attaque de nouveau les palmiers

Le charançon rouge est un fléau qui poursuit ses ravages dans le Grand-Tunis notamment. La situation inquiète aujourd’hui la société civile et les experts. Tout cet écosystème risque de disparaître si on ne prend pas les dispositions d’urgence nécessaires.

Samedi matin. Il est 9h00 au Parc du Belvédère, considéré autrefois comme le poumon vert et premier lieu d’attraction du centre-ville de Tunis. Aujourd’hui, le joyau de la nature et de la verdure est devenu un cimetière à ciel ouvert où des palmiers sont rongés par le charançon rouge depuis de longues années. Jadis, le Belvédère était un grand espace de promenades et de détente, ouvert au grand public, aux amoureux de la nature, aux chercheurs et aux jeunes et moins jeunes, mais maintenant, il a perdu de sa superbe et de son lustre d’antan.

On n’y voit désormais que de drôles d’énergumènes et des clochards dans l’abandon sillonnant le parc de jour comme de nuit. Le parc zoologique de la Ville de Tunis, qui s’étend sur 13 ha, situé au cœur même du Belvédère, agonise. Cet espace, qui abrite plus de 160 espèces d’animaux, est inondé de palmiers creux, sans relief et sans vie.

L’insecte attaque les washingtonians

Dans ce contexte, nous avons interrogé Mohamed Ikbal Souissi, président de la Chambre nationale de l’agriculture biologique et du tourisme vert, chargé du bureau national du Synagri, il nous a révélé «qu’en 2017, un séminaire international a été organisé à Tunis en partenariat avec l’ambassade des Etats-Unis sur le thème du charançon rouge (insecte) et son éradication».

Les plus grands chercheurs dans le monde ont confirmé que cet insecte ravageur a des préférences pour certaines variétés de palmiers, à l’instar du canariensis. Mais dans le cas où il ne trouve pas cette variété, l’insecte attaque les washingtoniens (palmiers d’ornement), les palmiers dattiers… D’après certains observateurs, s’il arrive à détruire tous les palmiers d’une zone, il a la capacité d’attaquer d’autres types d’arbres. Et d’ajouter : «Si le charançon rouge arrive au Sud, la sécurité alimentaire, économique et nationale sera remise en jeu. L’unique région du globe qui est arrivée à éradiquer cet insecte est la Californie (Etats-Unis). Elle est parvenue à atteindre cet objectif grâce à la collaboration de la société civile et des habitants. Les responsables et dirigeants californiens, en concertation avec la société civile, sont arrivés à établir un plan de communication efficace qui leur a permis de mener une guerre sans merci contre cet ennemi des palmiers. Cette réussite est presque exceptionnelle. La situation est très grave dans notre pays. Nous devons mettre en place un plan de communication exceptionnel et faire de tous les citoyens tunisiens des acteurs de lutte. C’est par une décision politique qu’on peut concrétiser ces recommandations».

Vers une véritable mobilisation nationale

Dans la droite lignée de l’action volontariste de M. Souissi, un autre acteur-clé du dossier de lutte contre le charançon rouge est intervenu. Chokri Klouz, paysagiste et président de l’Association des amis du Belvédère, précise que depuis plus de 8 ans (présence signalée fin 2011), le charançon rouge du palmier (CRP) sévit dans le Grand-Tunis et les gouvernorats limitrophes et constitue un véritable danger pour les oasis. Et d’ajouter : «Nous avons recensé en 2019 plus de 7.000 palmiers d’ornements (palmiers des Canaries, Phoenix canariensis) qui sont infectés, soit pratiquement 20% des palmiers d’ornement recensés dans le “Grand-Tunis”. La situation est dramatique aussi bien pour le paysage urbain que pour l’image touristique de la Tunisie. Nous ne pouvons regarder cette catastrophe sans réagir».

Par ailleurs, l’Association des amis du Belvédère a agi avec d’autres associations et organismes en créant une Coalition citoyenne contre le charançon rouge du palmier (4C). Après avoir été mise en place, ladite association a engagé un processus de mobilisation nationale qui a été couronné par une grande marche, qui s’est tenue le 15 juin 2019, à Tunis. Le principal objectif de cette coalition étant de porter la voix des différentes parties prenantes pour que les autorités nationales et locales engagent une véritable action nationale de lutte participative et intégrée pour la gestion du charançon rouge des palmiers. Un appel en 12 points a été lancé, suite à la marche, et a été adressé à la Présidence du gouvernement qui n’a pas réagi depuis cette date», a-t-il précisé.

Le risque est grand…

Pour sa part, Boubaker Houman, vice-président de l’Association des amis de Belvédère, a expliqué que la situation est grave. Le risque de l’effondrement de l’écosystème est grand. Le tueur du palmier rôde encore dans les rues et les artères du Grand-Tunis. Et notre interlocuteur se pose des questions sur un ton énervé : «Où sont les responsables politiques ? Où est la coordination institutionnelle entre les ministères ? Où sont nos chercheurs d’agronomie ? Où sont nos urbanistes ? De quelle stratégie parlent les responsables politiques depuis 2012 ? Où sont les fonds affectés à la lutte contre le charançon rouge ? Comment expliquer l’absence d’une volonté politique ferme, alors que nos oasis risquent d’être contaminées?». M.Houman rappelle que ses membres se sont penchés sur ce dossier brûlant qui concerne l’invasion des insectes qui ont infecté plusieurs palmiers en faisant preuve de beaucoup de patience et de vigilance.

«Nous attendons une réponse du gouvernement face à cette autre “pandémie” du charançon rouge du palmier dattier. Un sursaut national s’impose. Nous devons dépasser la constitution de commissions peu efficaces et l’élaboration de stratégies “boiteuses et infructueuses”, ainsi que les déclarations politiques sans suite», rajoute notre interlocuteur.

Des milliers de palmiers canariens ornementaux sont visiblement infectés par le charançon rouge, notamment dans le Grand-Tunis. Certains des plus beaux spécimens sont désormais perdus à jamais. Le fléau continue à se propager vers le Nord (Bizerte) et le Sud (Nabeul et Bouficha). Et il n’échappe à personne que la situation est dramatique. Les traitements appliqués, les techniques adoptées et la stratégie mis en place se sont manifestement révélés inefficaces sans parler des dangers qui guettent les palmiers dattiers et les graves conséquences environnementales et sociologiques qui les accompagnent.

Et notre spécialiste écologique de relever que : «Nous avons décidé de déposer une plainte contre X pour non-conformité à l’arrêté relatif à la lutte contre le charançon et pour la mise en danger du patrimoine végétal et paysager. Notre objectif n’étant pas d’obtenir un dédommagement, mais de nous faire entendre pour que les autorités engagent une véritable lutte participative et intégrée à même de nous débarrasser de ce fléau. L’éradication de ce fléau n’est malheureusement plus à l’ordre du jour de l’administration tunisienne».

Les risques qui guettent nos oasis

Un chargé de mission international médical apporte ses connaissances et donne plus de poids à la lutte contre l’éradication de toutes les variétés de palmiers. Selon Dr Noureddine Nasr, expert international des Nations unies, coordinateur et membre fondateur de Coalition citoyenne pour la lutte contre le charançon rouge du palmier (4C), «La contamination des palmiers d’ornement dans le Grand-Tunis devient grave et même très grave. Il est clair pour tout le monde et notamment pour les spécialistes du charançon rouge du palmier que la stratégie de lutte contre ce ravageur se limite actuellement à écimer les palmiers qui ont atteint le dernier stade de la maladie. Sans l’engagement des actions concrètes sur les oasis, la contamination risque de se développer davantage. Les insectes peuvent se déplacer au Sud et vers le Grand-Tunis dans des camions chargés de dattes. Le risque est que ces moyens de transport circulent et se rendent jusqu’aux oasis avec des charançons rouges du palmier qui sont attirés par l’odeur des dattes.

«Vu l’importance des infections dans le Grand-Tunis et l’absence d’une coordination forte et permanente entre les différentes parties prenantes pour lutter contre le charançon rouge du palmier, je pense que l’on doit adopter et d’urgence (pendant cette saison des dattes) un plan d’action pour empêcher l’arrivée du ravageur dans les oasis et en même temps préparer les oasiens à une éventuelle introduction du charançon dans les oasis», a-t-il souligné. Dans ce sens, la lutte contre le charançon rouge du palmier n’est pas l’affaire du ministère de l’Agriculture, des Ressources hydrauliques et de la Pêche uniquement; plusieurs autres ministères ainsi que la société civile et le secteur privé sont aussi concernés.

D’où l’urgence du transfert de ce dossier au chef du gouvernement et même à la Présidence de la République car il s’agit vraiment de la sécurité nationale qui est mise en jeu si jamais les oasis sont totalement contaminées. Il faut définir les rôles et les responsabilités au niveau national et régional et commencer par la création de comités régionaux de lutte contre le charançon rouge du palmier au niveau de chaque gouvernorat oasien et même des comités au niveau de chaque oasis. Il est urgent, aussi, de préparer une cartographie des zones à haut risque de transfert de cet insecte du Grand-Tunis vers les zones oasiennes.

Préparer un plan de contingence

Ces zones doivent tout de suite être complètement nettoyées du charançon rouge du palmier. A titre d’exemple, parmi les zones rouges à surveiller de très près, nous citons le marché de gros de Bir El Kassaâ, les usines de dattes, les hôpitaux et les cliniques, les facultés et les écoles, les ministères, les ateliers où les transporteurs font l’entretien de leurs véhicules dans le Grand-Tunis après la livraison des dattes. Il est nécessaire d’assurer le lavage et le nettoyage des véhicules sur les lieux de livraison pour enlever les restes des dattes et leur odeur, et ce, dans le but d’éviter l’attraction des charançons rouges du palmier lors du stationnement dans le Grand-Tunis, surtout dans les zones infectées où le contrôle s’impose quotidiennement. Il est obligatoire, de même, de mettre dans les oasis des panneaux, des affiches tout en diffusant des spots et des programmes sur le charançon rouge du palmier. «Une application pour androïde doit être conçue et largement diffusée pour l’information, la communication, l’intervention, le suivi et l’évaluation du programme de lutte contre le charançon rouge. Les îles Canaries ont bien éradiqué le charançon en s’appuyant sur une application androïde accompagnée d’une intervention rapide. Pourquoi nous ne le ferions pas nous aussi en Tunisie ?», conclut M. Nasr.

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